Face à Land de Timo Großpietsch et à sa glaciale présentation de l’industrie agroalimentaire allemande, difficile de rester de marbre. Ce film interpelle, choque, interroge son spectateur, et certainement, il divise.
A la sortie de la salle obscure, les spectateurs sont perplexes, sans un mot. Ils ont assisté à un spectacle saisissant, mais ne savent pas quoi en penser. Une chose est sûre, Land, le documentaire réalisé par Timo Großpietsch interpelle, questionne et divise. Ce long-métrage quasiment muet dépeint dans une froide contemplation les paysages de l’industrie agroalimentaire. Les plans symétriques d’une beauté glaciale, accompagnés de la musique angoissante mais envoûtante de Vladislav Sendeki, viennent renforcer le propos de l’œuvre. Cette industrie automatise le vivant, de la forêt allemande jusqu’aux hommes déshumanisés travaillant dans ces usines.
Perplexité commune
Si le message porté par le réalisateur est clair et accepté par le public, la forme elle ne fait pas l’unanimité. Devant Le Royal, cinéma de Biarritz, les avis sont partagés. Lina et Angèle, deux amies, ont deux visions très différentes et opposées du film qu’elles viennent de voir. Angèle est sans appel, elle n’a pas apprécié le documentaire : « L’esthétisation de l’image crée mise à niveau du propos qui annule la force du message. J’ai l’impression qu’il n’y a pas de discours». Lina est plus mesurée. Bien que le film soit magnifique, fort et percutant par son image et sa bande-son, selon elle, il est trop long. « Un 52 minutes aurait peut-être été plus pertinent, j’avoue que passée l’heure de film on décroche un peu ». A ces mots Angèle acquiesce, la fin ne l’a pas convaincu, notamment en raison de la bande-originale : « Pendant tout le film, une ambiance musicale oppressante est créée et sur la fin tout est brisé par des morceaux jazzy, vraiment je n’ai pas compris. »
« Beau comme de l’ASMR visuel »
L’incompréhension est également manifeste chez d’autres spectateurs, égarés entre une satisfaction visuelle, permise par l’automatisme, la régularité mécanique du film, et un sentiment de terreur inhérent au sujet. Cette terreur, elle s’accentue et s’intensifie au fur et à mesure que le film se déroule. Le cadre se resserre, la musique s’accélère. Plus le réalisateur s’approche de la fin de la chaîne de production, plus le propos est violent. Porté par cette violence si soutenue, il est possible d’avoir l’impression d’être face à un clip de L214 (association de lutte pour le droit des animaux dans l’industrie agroalimentaire et postant des vidéos de la condition animale des élevages intensifs) bien monté et très – trop ? – esthétique.
« C’était beau, contemplatif. C’est comme de l’ASMR visuel », avance un autre spectateur, quant à lui conquis. Difficile alors de ne pas questionner l’étrange satisfaction ressentie devant ces chaînes industrielles. Celui qui y goûte ne devient-il pas aussi inhumain que ces hommes ou machines dans ce monde-usine ?
Pas d’avis tranché sur Land. Si ce n’est le trouble. La proposition de Timo Großpietsch peut happer à la manière d’un engrenage ; la mécanisation venant surprenamment plaire.
Lucas Zaï–Gillot
Land. Allemagne. 2020. 1h15. Timo Großpietsch
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