Compétition International

« Oublier c’est survivre »

Burning Memories. Il aura fallu cinquante ans à Alice Schmid pour que les souvenirs lui reviennent. Violée le jour de ses seize ans par son moniteur de voile, elle s’est efforcée d’oublier, avant que la vérité ne la rattrape.

Dans son documentaire Burning Memories, Alice Schmid se met en scène, se raconte. Sa voix accompagne les paysages d’Afrique du Sud, pays qu’elle a rejoint pour se réfugier, alors que des souvenirs brûlants, intrusifs, irréels la rattrapent. La réalisatrice y entame un voyage initiatique pour se reconstruire. La caméra la suit. La sexagénaire marche à travers les terres arides d’Afrique australe, traîne sa valise, marche encore. Acharnée, la Suissesse marchera tant qu’elle ne sera pas capable de mettre des mots sur ce qui lui est arrivé.

« Je ne veux plus être une victime »

Sur une route déserte, les traits émaciés, l’étrangère fait halte devant un panneau de signalisation. Les lettres du mot « STOP » se dessinent sur le rouge vif du métal. A des milliers de kilomètres de chez elle, une seule idée en tête : « Je ne veux plus être une victime ». Stop à la honte, au dégoût et à la culpabilité, de nouvelles émotions l’envahissent. Stop aux crises de panique qui surgissent de jour comme de nuit, à l’improviste.

La protagoniste apparaît rarement en gros plan à l’écran, dévoiler son visage la mettrait peut-être à nue devant les spectateurs. Pourrait-elle soutenir leur regard? En voix off, les mots sortent de sa bouche pour décrire l’inconcevable : il y a cinquante ans son professeur de voile l’a violée. Elle avait seize ans.

L’ombre du tableau

Cette expérience refoulée a ressurgi brusquement au détour d’une visite dans un musée. L’artiste passait devant un tableau. Elle s’arrête. Une adolescente, nue, est assise sur un lit, de longs cheveux bruns entourent son visage. La ressemblance avec la jeune Alice Schmid est frappante. Une ombre la surplombe, menaçante en arrière-plan. Et là, le choc. Elle a déjà vécu cette scène.  

« C’est un refoulement naturel. Il est très fréquent qu’une odeur, un son, une image ravive des souvenirs », lui explique une psychologue. Elle a oublié mais son inconscient est puissant. Ses précédents films mettaient en scène des points de vue d’enfants victimes d’abus et de violences. Ce qui est enfoui refait surface, d’une manière ou d’une autre.  

L’art comme exutoire

« Oublier c’est survivre », clame la survivante. Désormais, il faut extérioriser ses émotions. Son accordéon sous le bras, direction l’Afrique du Sud. Ses compositions musicales intègrent le documentaire, guident son récit. Instrument familier, rassurant, il lui a été offert par son père durant son enfance.

Outre la musique, Alice Schmid s’exprime à travers la peinture et l’écriture. Elle tient un journal intime depuis son adolescence et y glisse chaque jour ses pensées. Les cahiers de notes entassés, la réalisatrice en relit des passages en quête de références à cet instant oublié de sa vie. Rien. Ecrire était devenu une addiction, mais nulle part n’était fait allusion à son agression. Elle a délibérément rayé l’horreur de ses souvenirs. Reste à se reconstruire.

Carole Le Goff

Burning Memories. 1h20. 2021. Suisse. Alice Schmid

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