Compétition Impact

Shadow Game, les ados migrants jouent avec la mort

Une case de départ, d’arrivée, des règles et des obstacles : un jeu. C’est ainsi que des migrants mineurs qualifient leurs tentatives de traverser les frontières des pays des Balkans pour atteindre une Europe verrouillée. Eefje Blankevoort et Els Van Driel, réalisatrices néerlandaises, ont suivi les adolescents au quotidien et leur tendent le micro dans l’édifiant Shadow Game.

Sajid a 15 ans. Il a fui l’Afghanistan. Allongé au milieu de morceaux de charbon dans un train de marchandises et sourire en coin, il liste les « jeux » : le jeu du train, le jeu du camion, le jeu du taxi… Et le principal : le jeu de la marche à pied. Ces « jeux », il doit les gagner pour atteindre l’Europe. Des milliers de kilomètres à travers les forêts minées, les montagnes enneigées, les roches friables. A son arrivée aux Pays-Bas après sept mois de route, Mohammed, 14 ans, montre à la caméra les traces laissées par ces marches intensives sur ses pieds. Malgré les ongles arrachés et les diverses nuances de violet, il sourit de toutes ses dents : après avoir frôlé la mort à deux reprises, l’essentiel pour lui est d’être en vie… et à destination.

« Si tu perds, tu meurs. »

De la Grèce à la Hongrie, en passant par la France, l’Italie, la Serbie, la Bosnie-Herzégovine, la Croatie, la Macédoine du Nord et la Slovénie jusqu’aux Pays-Bas, Shadow Game ouvre les portes d’une réalité européenne obscure. Des adolescents fuyant la guerre risquent quotidiennement leur vie pour atteindre l’objet de leurs espoirs les plus fous : une nouvelle vie teintée de paix. Malgré le durcissement des politiques d’asile aux portes de l’Union européenne, mais aussi les violences policières, le froid, la faim, la soif, la fatigue, les ours, les mines, les barbelés, les clôtures électriques, les camps de rétention, les refoulements incessants ; Sajid, Mohammed, SK, Faiz, Jano, Shiro et tant d’autres essayent, encore et encore. Jusqu’à la victoire.

Entre plans cinématographiques et vidéos brutes capturées par les smartphones des protagonistes, les réalisatrices offrent des angles de vue inédits sur ces odyssées de l’horreur. Certains, comme Faiz, 17 ans, ont tenté plus d’une vingtaine de fois de traverser une frontière. Refoulés, parfois battus ou torturés, fréquemment reconduits à leur point de départ en camp de rétention, les garçons confient bien souvent perdre espoir mais ne pensent jamais à renoncer. Comme le dit Fouad, 15 ans, leur vie c’est « agir ou mourir ». Les différentes histoires personnelles ne sont pas menées dans un ordre strict, constituant finalement une mosaïque de vécus et de souffrances. Pourtant, tous ces jeunes gens ont un point commun, leur objectif : remplir les « missions », « gagner le jeu » et ainsi « résoudre tous leurs problèmes« .

Le smartphone, l’outil de survie du XXIe siècle

Au plus proche des protagonistes, les réalisatrices présentent quelques fragments surprenants de la vie quotidienne de ces migrants. Purs produits de la génération numérique, les garçons organisent minutieusement les passages des frontières. Armés de Google Maps, Whatsapp ou encore de Messenger pour contacter passeurs et familles, le smartphone est indispensable à leur avancée. Il s’agit d’ailleurs de l’un des premiers objets confisqués par les polices frontalières. Sont aussi incluses dans le film des vidéos qu’ils ont eux-mêmes réalisées, notamment via l’application TikTok, pour garder trace de leur expérience et témoigner des supplices parfois subis. Tel un carnet de bord numérique, ces courtes séquences, parfois floues et filmées avec empressement, rendent compte de l’angoisse incessante de ces jeunes.

Entre vestiges d’innocence enfantine et expérience d’une rare maturité, cette métaphore du « jeu » structure le long-métrage. Parfois euphoriques à l’idée d’accéder au « niveau supérieur », mais bien souvent conscients que leur quotidien n’a rien d’un divertissement, on perçoit ce qui pourrait relever du mécanisme de survie. La bataille pour récupérer quelques miettes d’une enfance volée se couple avec le sentiment qui transparaît à chaque étape du périple : l’espoir. Car même après un enchaînement d’innombrables défaites, un jeu peut toujours finir par être gagné.

Ynès Khoudi

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