Perdue dans le désert caniculaire de Mojave, à 160 kilomètres au nord de Los Angeles, agonise California City. Une bourgade désolée, héritière d’un rêve fou, un « rêve américain » déchu, dépeint par Fabrizio Malteze.
Du sable à perte de vue. Un désert ardent, celui du Mojave et une colline. Du sommet un homme contemple ce paysage aride. Nathan « Nat » K. Mendelsohn rêve. Il rêve de transformer ces 33 000 hectares en une ville qui serait la nouvelle L.A du désert. 1958, California City sort de terre.
Près de soixante-dix ans plus tard, Fabrizio Malteze a choisi de poser sa caméra dans cette ville, à mille lieues de l’idée que s’en faisait son créateur. « C’est un coin paumé au milieu du désert », avertit le réalisateur en début de film et à raison. En quelques plans aériens, le ton est donné : les rues poussiéreuses semblables aux lignes de Nazca au Pérou desservent quelques maisons isolées. Un tumbleweed traverse une rue ; même le centre-ville semble abandonné aux buissons virevoltants.
Un immense vide se dégage des différents plans larges. Accentué par l’utilisation abondante de l’objectif grand angle de l’Iphone, avec lequel le film a été entièrement tourné, écrasant les rares silhouettes déjà accablées par la chaleur et la tristesse des infrastructures désaffectées. California City a tout l’air d’une ville fantôme.
« Amoureux de Cal City malgré tout »
Pourtant « Cal City » était une terre d’espoir, une terre d’accueil pour tout Américain cherchant un nouveau départ. L’incarnation parfaite du « rêve américain ». Une terre dont Jean-Paul LeBlanc est tombé amoureux. Avec sa femme Mary (présente à ses côtés sur la photo ci-dessus), le vieil homme vit à California City depuis les années soixante après avoir quitté son Canada natal pour tenter sa chance dans le Golden State. Sa casquette, sa chemise à carreau et sa démarche claudicante sont devenus familiers de tous les habitants de la cité tant il s’est investi pour elle au sein de la communauté de son « Optimist Club ». Aimer California City, malgré tout. S’il y a un point sur lequel s’accordent ses habitants c’est bien celui-ci. Tous veulent garder espoir en leur ville. Tous veulent la voir attirer du monde, la voir se développer, la voir grandir. Mais ici, le « rêve américain » tient probablement davantage du mirage.
Ruines
La ville du désert avait pourtant réussi à séduire quelques entreprises grâce à l’essor du commerce de la marijuana médicinale. Mais cette espérance n’aura duré qu’un temps. Les magasins ont fait faillite les uns après les autres, la population a cessé de croître.
Une critique acerbe du capitalisme et du fantasme américain se tisse au fil des témoignages. Vic Carmona, ex-restaurateur, drag queen et fier de l’être, ne mâche pas ses mots sur la situation de « Cal Shitty » : « La ville est ruinée. Il n’y a pas de rêve américain à moins que vous ne connaissiez quelqu’un ». Jean-Paul et Mary souffrent également de cette misère sociale. Avec une pension réduite à la portion congrue et des dépenses de santé de plus en plus importantes, comment joindre les deux bouts et payer le loyer ? Le regard empli d’une douce et amère mélancolie, cigarette au bec et Mc Café à la main, le bonhomme venu du froid se raccroche à son aspiration originelle : vivre au soleil.
Attachant et intime, California Dreaming n’en est pas moins vertigineux par ses plans et sa photographie, et tant il déconstruit l’illusion de l’« american dream » pour une mise à l’index du capitalisme à outrance. Aznavour avait certainement raison, à moins qu’il ne s’agisse d’un vieux dicton français comme le dit Jean-Paul : « Il me semble que la misère serait moins pénible au soleil ».
Lucas Zaï–Gillot
California dreaming. 2019. 1h44. Luxembourg. Fabrizio Maltese
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