La nuit est tombée au premier étage du Bellevue où la réalisatrice chilienne Carmen Castillo nous a donné rendez-vous. Au menu de cette rencontre, le cinéma, le documentaire et l’engagement politique au sens large.
Lorsqu’elle arrive dans la salle, elle demande quasi immédiatement à réaménager les chaises pour former un cercle et démarrer une vraie conversation, “comme lorsque j’interviens auprès des étudiants”. Ne pas créer de frontières entre elle et nous et pouvoir lui poser librement les questions, c’est comme ça qu’elle conçoit les choses.
Être une militante et être une femme
Nous commençons la masterclass improvisée par la question de la culpabilité. Forcée de quitter son pays, elle raconte au travers de ses documentaires son histoire et celle de ses camarades. N’est-ce pas une forme de catharsis, une manière d’expulser sa peur ou sa honte ? La réalisatrice nous répond presque du tac-au-tac. “Faire un film, ce n’est pas un remède”, c’est avant tout la volonté de ne pas oublier la mémoire qui “coule, bouge et se meurt”. Il n’y a aucune culpabilité à avoir, surtout en tant que femme militante et mère.
La maternité est un sujet lui-aussi encore débattu avec les féministes d’aujourd’hui en particulier. Pour Carmen Castillo, ces rencontres permettent de “regarder ce que nous avons fait avec un autre éclairage”, mais elle soutient que le désir d’être mère ne doit pas être sacrifié pour la cause. Au contraire, cela montre à quel point “on [est] porté par un désir de vie”, sentiment retrouvé dans leur vie de militantisme.

Faire un documentaire, c’est avant tout une aventure humaine
Les relations humaines sont une composante importante de son travail. Réaliser un film, c’est “un accompagnement solidaire”, “une histoire humaine” à part entière même dans ses moments les plus triviaux comme la recherche de financements. Elle qui préfère écrire et préparer ses films à l’avance, “le miracle de la rencontre” est tout de même une obligation, comme lorsqu’elle s’est retrouvée une nuit à filmer les quartiers Nords de Marseille.
La réalisatrice enchaîne sur l’importance de ses connexions avec la France. Elle avait choisi à l’époque de s’exiler à Paris “pour être anonyme”. La ville l’avait accueillie à bras ouverts. Aujourd’hui, cette solidarité, elle ne la voit plus ou très peu dans son quartier du XVIIIe où nombre d’histoires de migrants circulent et ne demandent qu’à être écoutées. “En tant que réfugiée politique, la moindre des choses que je puisse faire, c’est les accueillir et les aider” soutient Carmen.
Un leçon d’engagement politique
Impossible de ne pas souligner l’impact de son militantisme et l’engagement des personnages dans ses films. A l’image de Pierre de Menthon, ambassadeur français au Chili lors du coup d’Etat, ou de Manuel, son voisin qui l’a sauvée ce soir d’octobre 1974, ils prouvent qu’il est “toujours possible de sauver la vie des gens”. En réalisant des documentaires, cela permet non seulement de partager les mémoires mais aussi de raconter leurs histoires.
A propos du Chili, “un pays détruit” aujourd’hui pour la réalisatrice, elle salue un désir d’expression apparu au travers des évènements récents. “La parole s’est mise à circuler” entre les Chiliens laissant espérer une “démocratie par la base” demandant un changement radical de régime. “C’est énorme pour un pays néolibéral parfait”. La distance prise entre Carmen Castillo et l’Amérique Latine grâce à son installation en France rend son travail possible. Elle est impliquée dans des évènements la touchant directement tout en ayant un regard extérieur. C’est sur cette constatation que se termine cet atelier improvisé avec une réalisatrice, passionnante, passionnée.
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