Critiques Impact

Pour Thierry Leclère, « la France nie la question migratoire »

Dans son documentaire, La tête haute au coeur de la vallée de la Roya, en lice dans la catégorie « Impact » du Fipadoc, Thierry Leclère tente de déconstruire les idées reçues sur cette terre de passage des migrants, près de la frontière franco-italienne.

Après avoir sillonné la Méditérannée depuis 2011, l’ancien journaliste de Télérama, Thierry Leclère a fait escale au coeur de la vallée de la Roya, qui avait été sous le feu des projecteurs lorsque l’emblématique Cédric Herrou était poursuivi par la justice française pour « délit de solidarité ». Une fois l’engouement médiatique retombé, le réalisateur a passé une année entière dans cette zone géographique, terre de passage des migrants en quête du statut de réfugié. Mêlant humour et sensibilité, le journaliste immerge le spectateur dans le quotidien des habitants de la vallée de la Roya, que cela soit à Tende ou à Breil, en passant par le village vertigineux de Saorge, tous réputés comme étant ouverts à l’accueil des migrants. Ce documentaire ne revient pas sur le parcours de Cédric Herrou, figure marquante de la lutte pour l’accueil et l’intégration des réfugiés en France, dont un autre film, Libre, réalisé par Michel Toesca, lui est entièrement consacré. « Il serait extrêmement réducteur de réduire un phénomène migratoire à une seule et unique figure », alerte Thierry Leclère. Tout comme à un seul lieu. Car la situation de ce lieu enfoui dans les Alpes « ressemble à peu près à ce qu’il se passe à Bayonne », ajoute-t-il.

« Je n’ai pas été préparée à ça »

Il s’appelle Chamberlain. Elle se nomme Françoise Cotta. Il est réfugié. Elle est française. Il cherche un pays où il pourra construire son avenir, loin de la guerre et de la misère. Elle décide, par solidarité de lui ouvrir sa porte. Et pourtant, Françoise Cotta confie qu’elle n’a « pas été fabriquée pour ça ». Ni même « préparée à ça ». D’abord parce que du jour au lendemain, son quotidien a radicalement changé. Et sa vie de famille bouleversée. « Ils étaient parfois quatre ou cinq par chambre », raconte-t-elle.

Mais accueillir des migrants en quête d’un avenir meilleur que celui qui leur était destiné dans leur pays d’origine ne va pas de soi. « C’est un véritable choc des cultures », confie une autre hébergeuse de la vallée. Un jour, un Érythréen qu’elle accueillait chez elle ne comprenait pas comment une femme pouvait avoir une vie professionnelle pendant que son ami s’adonne à des tâches ménagères. « Il a dit mon ami « apprend-moi à faire la vaisselle, j’ai compris qu’ici il faut que je la fasse » », ajoute-t-elle. Il a alors de suite compris qu’il fallait qu’il apprenne à cuisiner, à faire le ménage et à repasser, s’il voulait bien s’intégrer à la société.

« La Roya terre d’accueil, c’est un cliché »

Attention aux à priori sur cette zone des Alpes, perçue comme étant accueillante et chaleureuse à l’égard des migrants. Tous les habitants des petits villages peuplant la vallée de la Roya ne sont pas forcément engagés dans ce combat visant à offrir une vie meilleure à ces êtres humains qui ont fui leur pays, espérant mener une vie meilleure en Europe. René Dahon est membre du conseil de direction de l’association Roya citoyenne. Très engagé dans cette lutte, il déplore une gauche limitée. Défendre le maintien des classes dans les écoles, la perrenité des bureaux de poste ne posent aucun problème, explique-t-il. Mais « défendre des blacks, ça c’est le problème, pourtant on n’a jamais été envahi par les noirs ! Je suis fâché avec notre État », déplore-t-il, pointant l’absence de politique concrète en matière d’accueil des réfugiées sur le territoire. « La Roya solidaire, La Roya terre d’accueil, c’est un cliché. Il y a aussi des gens qui ont peur et qui refusent que la Roya soit comme ça », surenchère Surez Prio, porte-parole de l’association.

Ceux qui tentent de « réparer les failles de l’État », comme l’affirme Cédric Herrou dans une courte séquence du documentaire, doivent aussi redoubler d’effort face à la montée de l’extrême droite dans la région. « Il y a déjà sept pays en Europe qui votent extrême droite, je ne veux pas que ça arrive chez nous », s’inquiète un ancien élu de la commune de Brel-sur-Roya. Et pour cause, depuis l’ascension de la Ligue au gouvernement italien, pays frontalier de cette zone géographique de la vallée de la Roya, l’Italie met les bouchées doubles pour limiter le plus possible l’immigration. Quand à la France, elle « nie la question migratoire », affirme le réalisateur, Thierry Leclère. À l’issue de la projection, ce dernier a annoncé fièrement, que l’un des migrants qu’il a suivi pendant une année de tournage, Chamberlain, vient d’obtenir son statut de réfugié en France. Mais le réalisateur ne crie pas victoire, attribuant le mérite à « l’accueil formidable qu’Alain Creton et Françoise Cotta ont offert à ce jeune garçon qui rêve de devenir infirmier plus tard »

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Caroline Robin

À propos Caroline Robin

Journaliste spécialisée santé à Capital.fr en alternance avec le Centre de formation et de perfectionnement des journalistes (CFPJ) de Paris. Diplômée du master journalisme de Sciences Po Bordeaux (promo 2019) et de la licence sciences de l'information et de la communication de l'Institut des sciences de l'information et de la communication (Isic) de l'Université Bordeaux Montaigne (promo 2017).

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