Critiques Hors compétition Impact

Défi de solidarité : « il n’y a pas de volonté nationale pour aider ces jeunes »

Héberger des migrants mineurs, Caroline Darroquy l’a déjà fait. Elle raconte son expérience dans un documentaire, avec l’appui d’Anne Richard à la réalisation, et de Christie Molia, productrice chez Tournez s’il-vous-plaît. Bouleversant, Defi de solidarité fait partie de la sélection « Impact », nouvelle catégorie créée au Fipadoc.

Ils sont orthophoniste, chef d’entreprise, étudiant, professeur en école de commerce, infirmier retraité, monteur de films, photographe, ou même conseiller en propriété intellectuelle. Tous ont intégré « Paris d’Exil », un réseau d’hébergeurs bénévoles qui se relaient pour accueillir des migrants, souvent mineurs mais ne disposant d’aucun papiers justificatifs pour le prouver aux autorités. De fait, les procédures de demande d’asile en France sont longues, et ces jeunes n’ont nulle part où vivre, manger, et dormir. Défi de solidarité n’est pas seulement un documentaire sur les migrants. Ce film raconte surtout le quotidien des Parisiens, qui accueillent par « principe de solidarité » ces jeunes adolescents. Ici, il n’est pas question de retracer le parcours semé d’embûches de ces adolescents qui ont redoublé d’efforts et de courage pour traverser la Méditerranée et arriver en France. Mais plutôt de mettre en lumière l’action menée par des Français, généreux, et soucieux du bien-être de ces migrants, à défaut d’avoir une politique gouvernementale pour leur venir en aide.

De la solitude des migrants au désarroi des hébergeurs

Sortir ces jeunes migrants de l’isolement n’est pas une mince affaire pour les hébergeurs. D’autant plus lorsqu’il s’agit de la première fois qu’on se porte bénévole pour accueillir un adolescent exilé. C’était le cas de Béatrice. Mère d’un petit garçon et orthophoniste, elle n’avait pas prévu d’héberger un inconnu. Encore moins un migrant, si jeune qu’il pourrait être son fils. « J’étais tellement contente d’être enfin seule avec mon fils », raconte-t-elle face caméra. Une chambre venait de se libérer chez elle. Quand Béatrice se retrouvait confrontée au regard des adolescents, seuls dans la rue, elle ne pouvait pas ne pas agir. Même si elle a douté d’elle. « J’ai peur de me retrouver face à mon égoïsme et de me dire que je n’ai pas envie qu’il soit là », ajoute-t-elle.

Il ne suffit pas de disposer d’un peu d’espace de confort pour recueillir un migrant chez soi. Force de caractère, espoir et détermination sont indispensables. Car chaque hébergeur se retrouve du jour au lendemain face à une réalité sociale qu’il ne connaissait pas. « Le jour, je suis dans une école de commerce à 8000 euros l’entrée où je confisque un iPhone à un élève, le soir, je me bats pour offrir un téléphone à dix euros à un adolescent dans la rue pour rester en contact avec lui et l’aider », témoigne Agathe, professeure dans une école de commerce.

« On n’est pas l’État, on est rien »

Accueillir un migrant chez soi ne s’improvise pas. Certains hébergeurs ont pris l’habitude, voyant défiler une trentaine de jeunes migrants chez eux pour des courts séjours de trois à quatre jours. Pour d’autres, c’est la première fois et ils ont besoin d’avoir des retours d’expérience pour « se rassurer ». Quoiqu’il en soit, il faut garder à l’esprit que ces hébergeurs sont des citoyens français ordinaires. Ils n’ont pas suivi de formation spécifique à l’accueil de migrants mineurs. Ils se sont simplement engagés dans des réseaux d’hébergements d’urgence et apprennent au fur et à mesure. Mais tous ne supportent pas de voir des adolescents errer dans la rue alors que selon la loi, qu’ils soient français ou non, ils ont droit à l’aide sociale à l’enfance.« On n’est pas l’État, on n’est personne, on n’est pas l’État. On est rien », se lamente Agathe, qui régulièrement veille à ce que les jeunes migrants aient un toit pour dormir à l’abris du froid.

Il n’est donc pas rare que les hébergeurs se retrouvent à leur tour désemparé, ne sachant pas comment bien interagir avec des adolescents qu’ils accueillent par solidarité. Mais dont ils ne connaissent rien de leur vie, si ce n’est leur condition de migrant ayant fui leur pays d’origine. « Tu sais, c’est la première fois pour moi. Tu dois m’aider. Tu dois me dire ce dont tu as besoin », lance Béatrice à Abou. C’est le premier adolescent migrant qu’elle accueille de toute sa vie. Infirmière retraitée, Marie-Christine peine aussi à nouer le contact avec Mamadou. Ce jeune garçon se montre très fuyant. Il refuse de manger. « C’est certain que c’est plus agréable qu’il y ait un échange. Mais on ne peut pas leur imposer d’être ce qu’ils ne sont pas », estime le conjoint de Marie-Christine.

Plus que du bénévolat, un défi de solidarité et d’humanité

Face à l’inaction de l’État pointée du doigt par les réalisatrices Caroline Darroquy et Anne Richard, les bénévoles de « Pars d’Exil » se sont lancé un défi de taille. C’est grâce à leur humanité et à leur fraternité qu’ils ont choisi d’aider ces migrants mineurs. Mais aussi à cause de leur condition humaine qu’ils sont susceptibles de craquer, submergé par leurs émotions. « Je crois que ce qui pourrait me faire arrêter d’héberger, c’est un trop plein d’émotions », avoue Béatrice, face caméra. Ce qu’elle a fait à la fin du tournage du documentaire, expliquent les réalisatrices au public à l’issue de la projection. « Elle a d’ailleurs refusé de voir à la première projection, il a fallu redoubler d’efforts pour la convaincre d’assister à la deuxième » précise Caroline Darroquy.

« Je n’ai pas envie de faire ça sur le long terme, ce n’est pas mon boulot, ce n’est pas mon métier », confie une autre hébergeuse dont le moral flanche à force d’accueillir des jeunes migrants qui ne demandent qu’à aller à l’école, à apprendre et réussir dans la vie. Pourtant dans la salle comble du cinéma Royal de Biarritz, une spectatrice qui héberge des migrants à Bayonne, émue par le documentaire dans lequel elle aperçoit Ibrahim, un des jeunes qu’elle a recueilli, estime qu’il n’est pas difficile de franchir le cap. « Tout le monde peut le faire ! », affirme-t-elle. « Moi encore aujourd’hui, je trouve ça compliqué. » répond Anne Richard, qui préfère dénoncer l’absence « d’une volonté nationale pour aider ces jeunes », alors que « rien qu’à Paris, 300 000 jeunes dorment dans la rue ».

C.Robin

À propos Caroline Robin

Journaliste spécialisée santé à Capital.fr en alternance avec le Centre de formation et de perfectionnement des journalistes (CFPJ) de Paris. Diplômée du master journalisme de Sciences Po Bordeaux (promo 2019) et de la licence sciences de l'information et de la communication de l'Institut des sciences de l'information et de la communication (Isic) de l'Université Bordeaux Montaigne (promo 2017).

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