Pendant un an, Jacques Deschamps a suivi le parcours d’une classe de CAP Service hôtelier au sein de l’hôtel Lesdiguières, à Grenoble. Dans son documentaire Les petits maîtres du grand hôtel, on dessine, on façonne le futur personnel de l’hôtellerie de luxe. Auprès des professeurs bienveillants, élèves et stagiaires apprennent la rigueur d’un travail parfois ingrat.

S’il y a bien deux expressions que nous n’aurions pas associées avant d’entrer dans la salle de projection, c’était « lycée hôtelier » et « comédie musicale ». Et pourtant. Au milieu des séquences brutes où l’on suit les élèves dans leur quotidien, des chansons et des slams rythment cette année scolaire. Jacques Deschamps pose sa caméra à l’hôtel Lesdiguières. Ici, des élèves du CAP au BTS apprennent un métier et toutes ses facettes. Tour à tour en salle, en cuisine ou dans les chambres, il faut s’exercer aux tâches ingrates de nettoyage des toilettes, de l’installation des nappes. En cuisine, chaque « ouais » adolescent est rectifié par un « oui, chef ! » de leur supérieur.
Parfois, des exercices qui paraissent simples, sont le fruit d’heures et d’heures de travail. Notamment cette après-midi passée auprès d’une de leurs professeurs à apprendre, les mains dans le dos, comment ouvrir les portes battantes des cuisines avec le pied. L’exigence est le maître mot. Ici, on forme l’excellence, les futurs employés des palaces parisiens. Barbe non rasée pour Sophat, cheveux détachées pour sa collègue, retards injustifiés… Chacune de leurs fautes est repérée, signalée. Leurs professeurs sont pointilleux. Respecter à la lettre les demandes, les impératifs, nettoyer chaque recoin, lisser chaque pli sur des draps, vérfier chaque interrupteur. Ils se répètent souvent, mais parfois, il faut bien insister pour que les élèves récalcitrants se plient à la tâche.
Le choix de la musique pour raconter des vies
Les chansons permettent de raconter l’histoire des personnages, évitant ainsi la traditionnelle interview face caméra un peu artificielle. Par exemple, lorsque le chef des travaux du lycée, Eddy Fourna, chante en parcourant les couloirs de son établissement, son parcours d’ancien élève, ses difficultés, ses 19 années comme cuisinier à l’hôtel Lesdiguières, puis son arrivée au poste de direction. C’est aussi par la chanson que l’on apprend le parcours d’élèves comme Margaux, dont le choix de se tourner vers l’hôtellerie a déçu sa famille.
« La musique a toujours fait partie du projet » a expliqué Jacques Deschamps à l’issue de la séance. Il explique avoir voulu présenter ces jeunes dans un univers « différent de celui dans lequel nous les voyons habituellement ». À ses côtés, Marie-Jeanne Serero, compositrice de la musique originale. Pourtant expérimentée après des compositions pour le cinéma et la Comédie Française, elle a admis avoir été un peu déconcertée par le projet au départ : « Composer sans connaître les voix, les tessitures, les personnes qui vont chanter sur notre musique, ce n’était pas simple à l’origine ».
On les suit jusqu’à leurs examens finaux, où certains, la faute au stress, cumulent les petites erreurs sous les yeux de leurs examinatrices bienveillantes. Les personnalités divergent parmi ces adolescents, qui à 15 ou 16 ans, sont parfois orientés dans des voies qu’ils idéalisent. Une fois confrontés à la réalité, ils chantent, ou déchantent. Ce fut le cas de Lucas, « je pensais apporter des plateaux, faire le room-service, je me retrouve à nettoyer les toilettes ! » D’autres, en cuisine, prennent goût à leur métier dans tous ses aspects : « en fait, travailler le poisson, vider, lever les filets, j’ai trouvé ça super », raconte une des jeunes filles. Des voies qui se dessinent, peu à peu, au sein des couloirs de l’hôtel Lesdiguières.
Présent lors de la projection auprès du réalisateur, Eddy Fourna, chef des travaux du lycée, a défendu ce projet et ce qu’il a pu apporter aux élèves : « Grâce au documentaire, beaucoup d’apprentis en décrochage se sont à nouveau investis. Certains sont aujourd’hui employés dans des palaces parisiens ». Un message qui a trouvé écho auprès des élèves du lycée hôtelier de Biarritz, présents à la projection. À l’unanimité, ils saluent un documentaire qu’ils considèrent comme « fidèles à [leur] réalité ». La sortie en salles prévue en septembre prochain offrira à tous une plongée dans l’avenir de l’hôtellerie française.
Marianne Chenou
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